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Imaginer ses propres personnages, c est un moyen de travailler bien sûr, mais aussi d aiguiser son regard et déployer ses talents d interprétation. Profondément et viscéralement comédienne, passer par la case autrice lui permet de contour- ner un temps cet écueil du métier d actrice, être soumise au regard désirant d un cinéaste, et en- trer dans une compétition pipée par des canons
esthétiques contraignants et excluants. Au fil des scé- narios, c est en passant par la case autrice et en s offrant de vrais personnages que sa carrière d actrice trouve un nouvel envol. On la re- trouve ainsi par exemple chez Alain Corneau dans Le Cousin, chez Christophe Blanc dans Une femme d intérieur, chez François Favrat dans Le rôle de sa vie, ou dans l adaptation par Laurent Bouhnik de 24 heures de la vie d une femme de Stefan Zweig.
L an 2000 marque son passage derrière la camé-
ra pour Le Goût des Autres, et l assoit s il en était besoin comme une figure incontournable du cinéma français. Cette fable douce-amère sur le mépris de classe, l orgueil et les préjugés ren- contre un grand succès aussi bien critique que public, vaut à Agnès Jaoui quatre César dont ce- lui du Meilleur film, et l envoie à Los Angeles pour représenter la France aux Oscars.
Agnès Jaoui va réaliser quatre autres longs mé- trages (Comme une image, Parlez-moi de la pluie, Au bout du conte et Place publique), qui rencon- treront les faveurs du public. Au fil des années et des films, ses convictions s affirment et s af- fichent. Militante féministe (on se souvient de son bouleversant discours lors de la 3ème édition des
Assises pour l égalité, la parité et la diversité dans le cinéma et l audiovisuel), elle défend des person- nages de femmes complexes et souvent rares au cinéma. Dans son film Au bout du conte, elle dyna- mitait le mythe du Prince Charmant. Dans Aurore de Blandine Lenoir, elle donnait corps et vie aux questionnements d une femme de 50 ans.
Sa filmographie laisse apparaître ses colères, ses ré- voltes ou ses engagements. Et fait ressortir un goût pour les films beaux, bien sûr, mais aussi utiles et so- cialement ancrés, comme le dénotent ses derniers projets, Compagnons, qui suit le parcours d une jeune apprentie qui cherche sa voie, Les Bonnes intentions, qui se penche sur l accueil des étrangers, ou encore A l ombre des filles, qui interroge la place des femmes dans l institution carcérale. Notons également qu elle sera prochainement à l affiche, aux côtés de Jonathan Zaccaï, du nouveau film de Frédéric Sojcher, Le Cours de la vie, véritable déclaration d amour au cinéma, où elle incarne une scénariste qui revisite son passé au cours d une passionnante leçon de cinéma.
Tous ces films égrenés ne constituent qu une partie de la filmographie d Agnès Jaoui, et ne mettent en- core pas en lumière ses talents de chanteuse et sa passion pour la musique, elle qui a sorti trois albums, et écrit en 2020 pour France Musique une comédie musicale, On va se quitter pour aujourd hui. Cet amour du chant, elle le partage d ailleurs dans le premier long métrage d animation des cinéastes belges Arnaud Demuynck et Remi Durin, Yuku et la Fleur de l Himalaya, prêtant sa voix et son swing à l inspirante renarde.
C est un honneur, une joie et une fierté pour l Académie André Delvaux de remettre le 4 mars prochain un Magritte d Honneur à Agnès Jaoui. Elle succède ainsi à Marion Hänsel, Monica Bellucci, Raoul Servais, Sandrine Bonnaire, André Dussollier, Vincent Lindon, Pierre Richard, Emir Kusturica, Costa-Gavras, Nathalie Baye et André Delvaux.