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Les Magritte du Cinéma
13e édition - 9 mars 2024

03 mars 2023 - 10:03:55

Meilleur film 2023: les nominations

Cette sélection 2023 vient confirmer une tendance inscrite dans l’ADN des Magritte du cinéma depuis quelques années: les premiers films de nos jeunes talents, souvent reconnus à l’international, tiennent régulièrement la dragée haute aux cinéastes plus établis, qui tracent le sillon de leur cinématographies, présents eux aussi cette année, qu’ils approfondissent leur style ou qu’ils explorent de nouveaux territoires de fiction.


Avec Animals, Nabil Ben Yadir s’impose là où on ne l’attendait peut-être pas. Après avoir débuté sur les chapeaux de roue avec Les Barons, comédie urbaine décalée, il a ensuite revisité l’histoire récente de la communauté beur de France avec La Marche, avant de livrer sa version du film noir (Dode Hoek), puis de faire un tour du côté des séries avec Into the Night. Inclassable, sauf surement pour le père d’Ihsane Jarfi, qui lui a d’emblée accordé sa confiance quand il s’est agi de partager sur le grand écran l’histoire de son fils. Celle d’un garçon aimé et aimant, arraché à la vie par la rage homophobe d’autres jeunes garçons. Fort d’un arc narratif redoutable, Animals nous interroge sur les ravages de la masculinité toxique, et la difficulté d’exister en groupe, quand on a peu de mots pour s’exprimer, quand on a grandi sur des terres brûlées par la violence familiale et sociale. On prend en pleine face le nihilisme total d’une société gangrénée par la violence, une violence d’autant plus irrépressible qu’elle est souvent mise en scène comme un spectacle. Un choc, qui ne peut laisser indifférent, qui sidère d’abord avant de revenir dans l’esprit du public, et de (re)lancer la réflexion.

Animals compte 6 nominations au total, et est produit par Nabil Ben Yadir et Benoît Roland pour 10.80 films. On notera que Benoît Roland est également le producteur, à travers son autre société Wrong Men, de Rien à foutre, nominé dans la même catégorie et dans la catégorie Meilleur premier film, ainsi que de Patanegra dans la catégorie Meilleur court métrage de fiction.



Si La Ruche est le premier long métrage de fiction de Christophe Hermans, c’est loin d’être le premier film du réalisateur, qui s’est notamment distingué avec ses documentaires En attendant la deuxième vague, Victor ou Eclaireurs. La Ruche est un huis clos intensément féminin, qui met en scène une femme empêchée par la maladie d’être elle-même, d’être entière, et qui, par ricochet, empêche ses enfants. La ruche, l’appartement aux rideaux clos figure le secret, le pacte de silence passé entre les abeilles et leur reine, qui retient leur émancipation. Dans cet univers feutré, servi par une mise en image délicate, les tensions montent, et les rêves explosent pour Marion, la sœur aînée. Cette famille plus vraie que nature est incarnée avec une véracité et une sincérité folles par quatre comédiennes sans fard, qui touchent ici à une certaine vérité. Parmi elles, deux sont nominées pour le Magritte du Meilleur espoir féminin. Sophie Breyer, héroïne qui porte sa famille comme son récit, laisse entrevoir derrière une carapace à toutes épreuves les rêves d’insouciance qui l’habitent, et Mara Taquin, volontaire et décidée, incarne la rébellion, celle qui sort, prend son envol quitte à se brûler les ailes.

La Ruche, qui récolte 5 nominations, est produit par Cassandre Warnauts et Jean-Yves Roubin pour Frakas Productions. C’est la deuxième fois que la société liégeoise est nominée dans cette catégorie, après Seule à mon mariage en 2020. Le film est également en lice dans la catégorie Meilleur premier film.



Bouli Lanners est de retour derrière la caméra, et comme Nabil Ben Yadir, il s’aventure là où on ne l’attendait pas avec Nobody Has to Know, une romance écossaise, sur fond de mémoire trouble et d’émancipation féminine. Le cinéaste et comédien s’essaie avec audace à un film en anglais, sur un territoire loin de ses origines, et un genre pas forcément familier non plus. On lui découvre le talent de livrer une love story subtile et délicate, faite de petits gestes, d’audaces inespérées et d’envie de liberté. L’histoire de Millie, une femme en marge de la société rigoriste qu’elle a toujours connue, qui va trouver un moyen de se réinventer quand elle ne l’espérait plus, et de Phil, un homme en bout de course qui trouve un second souffle inattendu. Une de ces histoires d’amour qui changent à jamais l’être aimé. Millie n’aura pas seulement gagné l’amour, elle aura aussi gagné la liberté de devenir celle qu’elle rêvait d’être, la possibilité de s’autoriser à être heureuse. Une romance d’autant plus touchante aussi qu’elle est offerte à deux âmes cabossées que la société aurait tôt fait de classer comme vieille fille ou vieux garçon, comme s’ils étaient condamnés à vivre après l’amour.

Nobody Has to Know totalise 7 nominations, soulignant notamment la direction artistique du film. Il est produit par Jacques-Henri Bronckart pour Versus production, dont c’est la 11e nomination dans cette catégorie, déjà remportée à quatre reprises avec Les Géants de Bouli Lanners en 2012, A perdre la raison de Joachim Lafosse en 2013, Les Premiers les derniers de Bouli Lanners en 2017, et Duelles d’Olivier Masset-Depasse en 2020.



Rien à foutre, c’est l’histoire de Cassandre, 26 ans, hôtesse de l’air chez Wing, compagnie sérieusement low cost. Basée à Lanzarote, elle enchaîne les vols et écume les dance floors. Elle swipe les hommes sur Tinder, comme elle swipe ses journées, enfermée dans un éternel présent. Cassandre et ses collègues mènent une vie passée au filtre des réseaux sociaux et des applications de rencontre, des vols à 15 euros et des drogues bon marché. Derrière les sourires de rigueur, ce sont autant de détresses et de solitudes qui se croisent, sans jamais vraiment se rencontrer. Il faut dire que si Cassandre tient tant à s’oublier, c’est qu’elle cherche la force de se trouver. Et se trouver pour Cassandre, c’est aussi faire un deuil, celui de sa mère, disparue subitement. Pour pouvoir avancer, elle va paradoxalement devoir s’arrêter, et prendre le temps. Le récit change alors de rythme, se déployant dans une seconde partie plus sombre à l’image, mais lumineuse dans les cœurs. Ce premier long métrage d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre a fait sensation au Festival de Cannes, où il était sélectionné dans le cadre de la Semaine de la Critique.

Le film aligne pas moins de 9 nominations, un carton plein ou presque. Il est produit par Benoît Roland pour Wrong Men, dont c’est la quatrième nomination dans cette catégorie, après Préjudice en 2016, Parasol en 2017 et Lola vers la mer en 2020. Notons que Benoît Roland brigue aussi le prix du Meilleur film pour Animals de Nabil Ben Yadir, avec son autre société, 10.80 films.



Dernier film en lice, Tori et Lokita, de Luc et Jean-Pierre Dardenne, que l’on ne présente évidemment plus. Avec ce 12e long métrage, ils célébraient leur 9e sélection en Compétition à Cannes, et leur 8e prix (le Prix du 75e), ce qui fait d’eux les réalisateurs les plus primés du festival. Tori et Lokita sont deux jeunes mineurs non accompagnés qui font face au peu de valeur que l’on accorde à leur existence sur ce sol aussi étrange qu’étranger. Ils sont tout à la fois Tori et Lokita, les deux héros de la fiction des Dardenne, et tous les enfants, toutes les jeunes femmes, tous les exilés et toutes les migrantes. Ils sont celles et ceux que l’on tait, que l’on ignore, que l’on cache. Celles et ceux dont le rêve d’une vie nouvelle dérange. Les réalisateurs ne cachent pas qu’avec ce film, comme avec Le Jeune Ahmed quelques années plus tôt, leur cinéma, de social, est devenu politique. Tori et Lokita est un conte dramatique, une parabole, un thriller humain et sociétal sur les injustices fondamentales, économiques, sociales, raciales qui sont au cœur de notre présent.

C’est la quatrième fois que Luc et Jean-Pierre Dardenne, ainsi que leur productrice Delphine Tomson pour Les Films du Fleuve sont en lice dans cette catégorie, après les nominations du Gamin au vélo en 2012 et du Jeune Ahmed en 2020, et la victoire de Deux jours une nuit en 2015. Le film obtient 5 nominations, dont celles du Meilleur espoir féminin et masculin pour Joely Mbundu et Pablo Schils.